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Déployer, de Douna Loup

4 Août

Lu par… Bérénice

Recroquevillée

 

 

 

 

Avez-vous déjà lu le journal intime d’une hypo-khâgneuse doublé de la prétention d’une plasticienne en résidence ? Moi oui, maintenant que j’ai lu Déployer.

Certes, cela se présente joliment et se vend probablement bien dans les meilleurs librairies parisiennes : aux éditions ZOE, dans une couverture un peu sac de couchage mais en papier brillant, sept feuillets indépendants, « à lire dans un ordre aléatoire » nous enjoint la quatrième de couverture. Bel effort pour faire semblant de donner de la liberté aux lecteurs, trop heureux de transgresser le sacro-saint objet livre. A la réflexion, la jaquette se rapproche de l’étui, notamment pénien, en raison de la forte odeur de masturbation intellectuelle qui se dégage de l’ensemble.

L’éditeur promet également 5040 possibilités de lecture. Si cela est mathématiquement exact, il m’est vertigineux de penser que quiconque pourrait s’attaquer 5039 fois supplémentaires à cette lecture. Voici un schéma plus réaliste de la motivation d’un lecteur en quête de défi :

Avec une grosse motivation de base

 

J’ai attentivement lu l’ensemble, une seule fois. Je n’exclus pas de n’être pas le public des atermoiements petit-bourgeois en matière d’amour conjugal. Une fois qu’on a décidé de prendre un amant, so be it et ne tentons pas d’en faire un drame durassien dans tout ce qu’il y a de moins intéressant. La vacuité des relations entrecoupée de la pauvreté des réflexions me lasse, et l’effort de style devrait s’accompagner du commentaire de l’éditeur suivant : « la voix la plus intéressante de sa génération ».

Que dire en effet de « Un couple est une bête en mouvement, tant que le mouvement fait partie de la bête il y a de la vie, s’il n’y a plus de mouvement c’est E m p a i l l é ». C’est presque plus intéressant quand en quelques phrases : « je monte m’asseoir dans un café, écrire à côté de ma tasse brûlante » (attention c’est risqué), « j’ai rendez-vous avec Anna » (ne vous attachez pas, on ne la reverra pas, sauf si bien sûr vous suivez les conseils de l’éditeur auquel cas vous la reverrez de NOMBREUSES fois), « j’essaie de me concentrer » (moi aussi), « mais il y a pas d’échec » (c’est discutable dans ce contexte).

J’exagère, il y a parfois des moments plus palpitants comme : « Ce fut le bruit strident d’une sirène qui nous désunit ». Moi aussi parfois le babyphone m’interrompt en plein orgasme, je compatis.

Bref, tout ça c’est l’histoire de quelqu’un qui constate qu’en dix ans on change, même quand on est en couple, et que parfois on frémit pour d’autres. Looooooong bâillement et léger effroi face à ces gens qui considèrent qu’un des objectifs de la vie est de ne pas changer.

A un moment, page 26 ou 201 on ne sait pas, leur fille disparaît (spoiler, elle va revenir, ou peut-être est-elle déjà revenue, tout dépend de là où vous en êtes de vos 5040 tentatives). C’est l’occasion d’un des petits effets de style susmentionnés, admirez plutôt :

« Danis essayait de rester calme. Elle ne comprenait pas. Danis essayait de rester calme. Elly n’était pas calme. Danis essayait de rester calme. Elly était pascalme du tout. »

Pour ma part, je deviens trèsfâchée quand je lis ça.

Un peu plus tôt, on fait face à une claque littéraire : « et si définir devenait « dé-finir » ». » Laissez-moi vous conter une histoire de mon enfance. Quand j’étais en CP, je lisais les aventures de Lucas Ramel dans Pomme d’Api, une lecture qui a formé mon esprit critique, quand, à l’heure de la sieste, je me retrouvai plongée dans les affres de la perplexité. Lucas Ramel, me dis-je ? Mais on peut aisément dire Luc Caramel ! C’est absolument fou, cette capacité de la langue à être polysémique, me disais-je donc à six ans. Et cela pourrait-même ne rien vouloir dire, car si on répète Lucas Ramel très vite plein de fois alors cela n’a plus aucun sens !

5040 possibilités de se prendre une balle dans la gueule

Choisir dès lors qu’une des intrigues secondaires consiste en la narration de la quintessence de la morbidité de la religion catholique excède ma compréhension. « Perd-on quelqu’un parce qu’il est mort ? » se demande la narratrice, elle qui se dit également que « de toute évidence nous sommes malades de civilisation ».

Et c’est avec un poil de jugement que je me dis que la personne pour qui « il est à peu près impossible d’imaginer la mort de qui que ce soit, la mort d’un vivant » doit être bien benoîte.

Cette critique est-elle juste ou gratuitement sévère car l’autrice ne précise pas avoir eu le Prix Virilo 2015 pour L’Oragé ? Vous pouvez choisir de vous faire votre propre opinion, à de multiples reprises.

 

Là-bas, août est un mois d’automne, de Bruno Pellegrino

10 Sep

Lu par… Bérénice

brassée de fleurs du Haut-Jorat

 

 

 

 

Je ne connaissais pas Gustave Roud, poète suisse aux doigts vêtus de fleurs, aux yeux balayant les alpages et la sueur sur le corps des hommes due aux mouvements de la faux.

Bruno Pellegrino raconte les dix dernières années de ce vieil homme qui, toute sa vie, a vécu avec sa sœur Madeleine dans la maison familiale, habitée par les meubles des ancêtres, où la page de garde de la Bible transmise de génération en génération ne constate plus de naissance et ne retrace que des décès. Le jardin féérique vit, lui aussi, grâce et par Gustave. Ce sont les neuf dernières années de la vie de Madeleine.

Sommité littéraire en dehors des frontières de sa campagne vaudoise, c’est un poète qui n’écrit plus, qui se disperse, qui contemple ses fleurs, balaye les congères et regarde encore un peu les hommes, encore un petit peu jusque ce que, comme lui, ils meurent.

Homosexuel, chose reconnue (il prend des milliers de photos de jeunes hommes torse nu ; il est vu bras-dessus, bras-dessous avec un autre célibataire) mais jamais abordée (uniquement dans son dos, dans les murmures veules de la file chez la boulangère et dans le regard des autres au café du village), on comprend de ce que Pellegrino écrit qu’il ne s’est jamais (n’a pas pu ?) laissé vivre ses amours. Heureusement, Madeleine veille, « faisant peser la présence de son corps, le laissant diffuser juste ce qu’il faut de silence pour tenir à distance les mots qui ne savent pas de quoi ils parlent ».

Alors, il marche, il photographie, et il essaye d’écrire, vite distrait par les capillaires et les pulmonaires, le souvenir des trembles de Virginie, le bois-gentil, les ancolies, les esparcettes et le sainfoin. Madeleine et lui partagent des repas, quelques espaces communs, une complicité sans parole et le souvenir des tantes mortes dans cette maison, dans leurs chambres, dans leurs lits. Madeleine adore la science mais les correspondances de Gustave ne mentionneront que ses talents de cuisinière, une tarte au vin cuit et un mélange pour nourrir les abeilles.

Gustave, vieux monsieur, se plie à l’exigence d’un tournage : un film sur lui, le célèbre poète. On l’y voit marcher, et se verser du thé. Pellegrino suggère quelques notes de Schubert. Ich komme vom Gebirge her, Es dampft das Tal, es braust das Meer. Pas un mot d’André, pas un mot de Louis.

Et Madeleine, mon héroïne, nettoie le poêle et recherche des coupures scientifiques. Elle fume la pipe et attrape, rarement, un fou-rire. Quelle élégance que ces deux vieux talentueux. On voudrait bien qu’ils soient nos grands-parents.

L’ensemble est très beau mais pèche par le choix du sujet : dix ans d’un poète en crise de la page blanche, voilà qui manque un peu de tension. Madeleine meurt, l’urgence à écrire encore un peu renaît, et puis c’est la fin. Tout meurt, y compris les maisons, dans le Haut-Jorat. C’est une mélancolie un peu lasse, un peu longuette, qui fait malgré tout de l’ensemble un très joli livre.

Gustave Roud, à qui il manque une moustache.

 

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