La Jouissance, de Florian Zeller

27 Oct
Moustaches (France)

Editions Gallimard

Lu par Anne

Moustaches d’Europe : ode à la diversité
Moustaches of Europe : an anthem for diversity
Whiskers von Europa: Ode an die Vielfalt
Bigotes de Europa: oda a la diversidad

En décidant de lire et critiquer La Jouissance, je dois confesser avoir éprouvé un plaisir coupable teinté de perversité : oui, j’allais pouvoir libérer mes pulsions sadiques en la personne de Florian Zeller et procéder à un Zeller-bashing dans les règles de l’art. Mais l’animal réservait des surprises… En effet, le début du roman n’est pas déplaisant, par l’emploi d’une ironie douce-amère et à l’originalité du propos : comparer l’intrusion d’une polonaise dans les fantasmes d’un trentenaire et l’élargissement de l’union européenne, voilà qui ne manquait pas d’audace. Et l’audace, au Virilo, on aime ça.

Malheureusement, passée la première scène, l’effet retombe comme un vieux soufflé au fromage allégé. La relation entre Pauline et Nicolas est ennuyeuse comme Vladivostok (Russie) un jour de grève ferroviaire,  la comparaison entre leur médiocre histoire et l’unification d’un continent se révèle aussi improbable qu’un porcelet courant en liberté sur l’Esplanade des Mosquées (Israël), et l’auteur s’avère finalement aussi cuistre (France) qu’on le redoutait.  Pour une raison qui échappe, il a choisi d’accompagner entre parenthèses le pays du lieu dont il parle, comme ci-dessus. Voyez plutôt, au mieux on n’en comprend pas l’intérêt, au pire ça agace.

Finalement, on a surtout l’impression que Zeller, adulé pour ses premiers romans, belle gueule de l’édition, s’est retrouvé prisonnier de la brillance qu’on lui a proclamée. Avec ses ambitions de grandeurs et sa volonté affichée de faire de l’esprit,  c’est un jeune présomptueux, frère en arrogance des jurés du Virilo. Grand prince, je lui accorde donc trois étoiles, car Dieu reconnaîtra les siens, et propose qu’on le coopte pour l’année prochaine. Lui comme nous devrions en être flattés et notre carnet d’adresses s’en trouverait fortement étoffé…

————————–

Impuissance glabre

Lu par Stéphane

A défaut de temps, pas de critique. De simples citations. Chacun jugera sur pièce de la valeur de la prose.

Dans la catégorie « Ah bon ? » :

« Ici, un parallèle avec le plombier polonais s’impose. »
(fallait-il le préciser tant cela semble en effet évident !)

Dans la catégorie « Vérités éternelles » :

« Les hommes sont, du moins la plupart du temps, de grands enfants. »
(noter la prudence de l’auteur, qui nuance son propos)

Dans la catégorie punchline façon Rap Contenders :

« C’est la loterie de l’histoire. Mais contrairement à l’Euromillions, le ticket est gratuit. »
(toi même tu sais, gros)

Dans la catégorie « l’art du suspense » :

« Puis il s’était produit un événement déterminant : le chat de Pauline s’était blotti contre Nicolas. »

Dans la catégorie « métaphore acidulée » :

« Quand elle avait 20 ans, elle ne parvenait pas à guérir de cette étrange maladie qu’on appelle l’enfance. »

Dans la catégorie « un nouveau regard sur l’Histoire » :

« « Verdun », ce seul mot fait frémir d’horreur. C’est une des batailles les plus inhumaines auxquelles on se soit livré. Sous un déluge d’obus, les hommes, dont le but principal consistait à tenter de survivre, ont vraiment connu l’enfer. »
(on apprendra également plus tard dans le roman que si Hitler était mort enfant, le destin de l’Europe aurait « probablement » été différent, est-on jamais assez prudent avec l’Histoire ?)

Dans la catégorie « prenons le lecteur par la main, il serait tenté de s’enfuir » :

« En ce qui le concerne, Nicolas a toujours pensé que, s’ils étaient complémentaires, c’est avant tout parce qu’ils n’avaient pas le même rapport au temps. Mais comment définir ce rapport ? Dans l’immortalité, Kundera… »

Dans la catégorie GPS stylistique :

« Ce jour-là, après son travail, elle a rendez-vous avec Nicolas devant la cinémathèque qui a programmé une rétrospective sur Bergman (Suède) »

Hors catégorie

Terminons enfin par cette phrase, qui illustre bien et en peu de mots l’audace du projet littéraire (rapprocher un cours de terminale sur l’histoire de la CEE et la déroute d’un couple) et son échec inévitable (a-t-on jamais vu rapprochement aussi artificiel et dénué de poésie ?) :

« Dérouté par ce rêve européen, il essaie de se souvenir de la première fois qu’ils ont couché ensemble. »

Exercice à faire à la maison

Comme Florian Zeller (Paris), vous juxtaposerez deux faits sans rapport et en tirerez un roman.
Suggestions :
Consterné par la situation géopolitique au Moyen-Orient, il se fit des pâtes au beurre.
Préoccupé par la propagation de l’arme nucléaire, il noua ses lacets.
Amoureux de la littérature, il dévora le dernier roman de Florian Zeller.

11 Réponses vers “La Jouissance, de Florian Zeller”

  1. AR 29 octobre 2012 à 11 h 11 min #

    Encore un coup des journalistes, pour une fois sortir les phrases de leur contexte prouve très bien le niveau du roman ! j’adore la critique !

  2. Thibault 29 octobre 2012 à 16 h 10 min #

    Stéphane, tu me donnes finalement assez envie de le lire, juste après m’être fait une soirée Steven Segall entre potes.

    • Prix Virilo 29 octobre 2012 à 16 h 13 min #

      Mais figure-toi Thibault que Florian Zeller est justement dialoguiste pour Steven Seagal.
      A moins que ce ne soit l’inverse…
      Stéph

  3. foutage 30 octobre 2012 à 11 h 43 min #

    On sent poindre une forme de tendresse chez le critique consterné. Le rapprochement foireux entre une anecdote et une analyse géopolitique sans rapports dans la même phrase va-t-il devenir culte ? Vous allez faire de Florian Zeller un nouveau Ed Wood.

    • Prix Virilo 30 octobre 2012 à 17 h 52 min #

      C’est un jeu assez rigolo, auquel nous nous sommes adonnées sur notre page facebook. A l’applaudimètre, le gagnant : « Il était convaincu que les escargots au beurre persillé avaient été cuits hors de leurs coquilles avant de servir. Les 2 tours qui venaient de s’effondrer assombrissaient un peu plus sa journée. »

      • Maxime 30 octobre 2012 à 20 h 32 min #

        Pourquoi diable trouver ça mauvais alors que quand Kafka écrit dans son journal, le 2 août 1914, „Deutschland hat Rußland den Krieg erklärt – nachmittags Schwimmschule“ c’est du génie à l’état brut ? Parce que Kafka est un génie et que Zeller cherche juste à faire l’intéressant ? Ah, OK.

      • Prix Virilo 31 octobre 2012 à 1 h 47 min #

        Parce que Kafka écrit un « journal », justement ? Je ne sais pas, pour moi, le livre de Zeller (et le fait que l’auteur soit Zeller m’importe peu, j’aurais été ravi de le défendre) me semble juste totalement raté… Pourquoi une blague parfois tombe-t-elle à plat ? Souvent parce qu’un secret ingrédient y manquait et que l’ensemble était « mal raconté »… Je crois que c’est à peu près la même chose avec les livres : nous essayons désespérément de mettre en mot et de légitimer techniquement, stylistiquement, un ratage pourtant évident à la lecture…

        Philippe

  4. Maxime 30 octobre 2012 à 20 h 34 min #

    La chronique de Chevillard sur ce même livre (Le Monde des Livres daté du 31 août) est géniale. Je me permets d’en citer le début :

    « Le jeune écrivain ne s’expose pas sans risques à l’influence d’un maître. L’action de celle-ci est à rapprocher de celle des rayons X. Bénéfique dans un premier temps, elle permet sans doute de se connaître mieux, elle dispense une belle leçon d’audace et de radicalité. Elle brûle les mauvaises graisses consécutives aux lectures voraces, hasardeuses et mal assimilées de l’adolescence. Puis elle brûle encore, elle détruit les défenses immunitaires, elle attaque l’os. L’influence du maître finit par réduire en cendres le disciple, dont les livres ne seront plus dès lors que de pâles et grimaçants reflets de l’oeuvre qui les a inspirés.
    Au reste, les grands écrivains ne veulent pas de ces mules que sont les émules ; ils n’ont aucune envie de reconnaître dans ces miroirs strabiques leur visage entièrement composé de chiures de mouche. Le vrai maître enseigne la liberté, et donc la solitude ; il nous chasse de son orbite le jour de notre majorité. Il a balisé un territoire où tout est dit, où nous ne pourrons rien faire de mieux que piétiner ses plates-bandes.

    Voilà ce que ne semble pas avoir compris et médité Florian Zeller, dont le nouveau roman, La Jouissance, nourrit visiblement l’ambition d’aller grossir la bibliographie de Milan Kundera. Ambition déraisonnable et désespérée, hélas ! Tout y est pourtant, à peu près : courts chapitres alternant les épisodes d’une intrigue sentimentale à géométrie variable et des considérations sociopolitiques sur l’époque ; attention de lexicographe pour quelques termes révélateurs délicatement brodés en italique sur la page (ici, par exemple, contradiction et négociation) ; posture ambiguë du narrateur intervenant parfois pour commenter la situation ; et le sexe encore comme moteur et terme des moindres agissements. Bien entendu, il serait naïf de réduire à une telle liste l’oeuvre de Kundera ; c’est pourtant très exactement ce que fait Florian Zeller. On croirait le voir en train de casser ses oeufs et de verser sa farine dans un saladier, la langue entre les dents, louchant sur Le Livre du rire et de l’oubli comme sur un livre de recettes.

    Résultat : un livre pour rire et à oublier, un Kundera mal cuit qui ne nourrit pas son homme et cependant lui pèse sur l’estomac. La comparaison avec l’original est impitoyable pour ce récit gauche, immature. Encore un boeuf qui s’enlise dans la mare pour s’être cru pourvu des cuisses nerveuses et si joliment galbées de la grenouille. »

    • Prix Virilo 31 octobre 2012 à 1 h 44 min #

      Cher Maxime,
      Je suis absolument, catégoriquement, radicalement d’accord avec vous : Chevillard est le plus grand.
      Nous le savions merveilleux écrivain, il est un drôlissime critique. Merci pour ce poste, qui en effet, éclaire un peu mieux le projet d’écriture, qui me semblait, à la lecture et personnellement, juste totalement bancal, bien que je n’avais pas fait le parallèle avec Kundera.
      Philippe

    • Caroline 31 octobre 2012 à 2 h 07 min #

      J’aime infiniment ce chroniqueur décidément. Aujourd’hui il a parlé sur son blog non pas de grenouille mais d’escargot. Alors je pars en Bourgogne déguster.

      • Prix Virilo 31 octobre 2012 à 3 h 20 min #

        Merci Caroline.
        Si vous parlez bien de la phrase « Il était convaincu que les escargots au beurre persillé avaient été cuits hors de leurs … » il vous fait alors féliciter Thomas (cf notre jury 2012), le batteur punk et néanmoins amateur d’escargots.
        Bons bourgognes,

        Philippe

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