L’explosion de la tortue, d’Eric Chevillard

24 Avr

Lu par… Bérénice

Humide, puis sec, puis humide

 

 

 

 

Commencer cette année virilesque avec la critique du Chevillard 2019™ est soit de l’insouciance (et oserions-nous en faire preuve, ici, dans l’enceinte sacrée du Prix Virilo où le pinard est rouge comme le sang d’un juré fraîchement sacrifié sur l’autel du roman français car, enfin, si nous lisons, ne saignons-nous pas ?), soit une provocation (peut-être lisez-vous ma dernière critique avant ma mise à pied par un Président rageur et fulminant). Tirons un voile pudique sur mes motivations et en avant Guingamp.

Classiquement publiée aux très chics éditions de Minuit, L’explosion de la tortue est donc LE Chevillard. En soi, donc, un pari, puisque Chevillard est bien une année sur deux, sauf les quatre dernières années (ce qui fait donc huit).

Phoebe, notre héroïne malgré elle, est une tortue. Oh, une petite tortue, pas grand-chose, quelques centimètres carrés de tortue. Dite de Floride, elle a surtout transité par le quai de la Mégisserie (ici, c’est Paris) avant de s’abîmer dans le XIe arrondissement, rue Sedaine précisément. Si c’est un coin ma foi fort sympathique, biocoop à proximité et bars de quartier, c’est moins rieur pour une tortue. Surtout dans l’appartement du narrateur, un cas fabuleux pour la psychiatrie, qui a) vole les vieilles dames en EPHAD b) tombe amoureux de l’œuvre d’un obscur écrivain oublié, Louis-Constantin Novat, auquel il s’identifie totalement c) se dit oh tient pourquoi ne pas m’approprier l’ensemble de ses écrits d) part en vacances loin, longtemps, sans sa tortue.

Ca partait bien : notre auteur tue Phoebe. Deux fois. D’abord parce que son stratagème ingénieux consistant à abandonner Phoebe pendant un mois dans son aquarium, lui-même au milieu d’une baignoire remplie d’eau, est digne de mes stratégies de cantine quand je voulais reprendre du fromage : brillant, certes, marque d’un esprit supérieur, bien entendu, mais hélas marqué au sceau de l’incroyable bêtise des objets (ou des gens) qui ne coopèrent pas avec un plan qui leur échappe. Ensuite parce qu’à son retour, il assure la fin définitive de Phoebe en transperçant sa carapace de son pouce (il paraît que c’était involontaire, à d’autres) et, atteignant ses organes vitaux et faiblement palpitants, signe son arrêt de mort. Ce sont les pages introductives et c’est génialement répugnant.

Eric Chevillard emprunte, sans difficulté, la peau du raté et du fat à la fois, de l’écrivain qui se gargarise et moisit du même mouvement, recouvert d’une gangue de morgue et de supériorité. Démonstration implacable du syndrome de la Schtroumfette, le narrateur a su se faire habiter au mieux par Louis-Constantin Novat, écrivain du XIXème siècle aux rapports compliqués avec le monde, ses habitants, ses habitantes (et probablement sa mère). C’est peu de dire qu’ils étaient faits l’un pour l’autre.

Au gré des œuvres de Novat, redécouvertes, des péripéties  de vols de textes (rien de fou, n’oubliez pas que c’est le XIe arrondissement), Eric Chevillard nous glisse dans l’enfance saumâtre des deux hommes, fillettes écrasées par des taureaux, jeune fille tuée par une faux, lézards à la queue coupée. Torture ou leçon de choses ?

Hélas, Eric, Eric, Eric, j’aime les stylistes mais j’ai quand même failli laisser tomber à  plusieurs reprises. C’est l’excellence du style et le malaise permanent qui m’ont convaincue de reprendre ma lecture à chaque fois mais on n’est pas passé loin. La description de séduction de sa compagne par le narrateur valait, je l’avoue, ma persévérance.

En vérité, il faut le dire, Eric Chevillard prend son lecteur pour sa tortue et souffle l’humide et le sec, sans certitude que ça prendra tout à fait (et à contre-courant des idées reçues, pour une tortue, il faut que ça soit mouillé).

En somme :

+3 moustaches pour le roman, il est brillant, le style est incroyable et la pédanterie du XIXe (ou du XIe, je ne sais plus) au plus juste ;

-2 moustaches parce que, quand même, on s’emmerde ;

+1 moustache pour la rigolade quand elle arrive ;

+1 moustache parce qu’Eric Chevillard a, comme Sandra Lucbert précédemment, le bon goût d’écrire un roman qui se passe à moins de 100 m de chez moi (j’aime qu’on parle de moi).

Quand on aime les livres bizarres, c’est quand même vraiment bien

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